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Publié par Delphine E. Fouda

 Publié sur LA CONSTITUTION EN AFRIQUE  le 08/04/2008 par Stéphane BOLLE Maître de conférences HDR en droit public  . Le 4 avril 2008, Paul Biya, Président de la République du Cameroun, a déposé sur le bureau de l’Assemblée Nationale, conformément à l’article 63 (1) de la Constitution de 1996, le projet de loi n° 819/PJL/AN visant à modifier et à compléter certaines dispositions de la constitution du 18 janvier 1996. Après des mois de controverse, le pouvoir de révision souverain va se prononcer sur le texte ci-après, publié par le quotidien "Mutations" et annoté par votre serviteur :
Article 6 :

Alinéa 2 (nouveau) : Le président de la République est élu pour un mandat de sept (07) ans. Il est rééligible.

La levée de la limitation du nombre de mandats présidentiels constitue l’objet principal de la révision à venir de la Constitution. Très controversée, considérée par les opposants comme un attentat contre la paix civile, la fin programmée du double septennat remet en cause l'un des acquis du néo-constitutionnalisme libéral de la décennie 1990 en Afrique et rouvre la possibilité pour Paul Biya, 75 ans, d’être indéfiniment réélu à la charge suprême.

Pour autant, l’abandon de la clause de l’alternance automatique au sommet n’est pas en elle-même antidémocratique : le Président de la République, dans ses vœux à la Nation pour 2008, a souligné qu’il s’agissait de supprimer "une limitation à la volonté populaire, limitation qui s'accorde mal avec l'idée même de choix démocratique". Partisans et détracteurs de la clause avancent des arguments somme toute classiques, rappelés par Augustin Loada.

Mais le débat passionné et passionnel sur l’article 6 (2) de la Constitution camerounaise s’inscrit aussi et surtout dans une société politique de défiance mutuelle : "La Constitution de la République du Cameroun" d'Alain Didier Olinga (p. 72) enseigne qu’en 1996 « Le principe de la limitation des mandats (a) été acquis au terme d’une âpre bataille » et qu’il était « la contrepartie » du passage du quinquennat au septennat ; l’opposition fait valoir, en 2008, que le pouvoir RDPC n’a de cesse de « truquer » les élections concurrentielles  et que l’adoption de l’amendement garantira donc la réélection de Paul Biya en 2011. Le raisonnement n’est pas sans faille : à Constitution constante, Paul Biya, à l’instar de Vladimir Poutine en Russie et, peut-être demain d’Abdoulaye Wade au Sénégal, n’aurait-il pas pu faire élire son « dauphin » pour empêcher l’opposition de conquérir le pouvoir ? En réalité, tout alternance semble exclue tant que l’ancien parti unique, qui a remporté toutes les élections depuis le rétablissement du multipartisme intégral, sera en capacité de « surdéterminer » la Constitution, de la façonner à son gré, seul ou avec des alliés obligeants.

Alinéa 4 (nouveau) : En cas de vacance de la Présidence de la République pour cause de décès, de démission ou d’empêchement définitif constaté par le Conseil Constitutionnel, le scrutin pour l’élection du nouveau Président de la République doit impérativement avoir lieu vingt (20) jours au moins et cent vingt (120) jours au plus après l’ouverture de la vacance.

a) L’intérim du Président de la République est exercé de plein droit, jusqu’à l’élection du nouveau Président de la République, par le président du Sénat. Et si ce dernier est, à son tour empêché, par son suppléant suivant l’ordre de préséance du Sénat ;

b) Le Président de la République par intérim- le Président du Sénat ou son suppléant- ne peut modifier ni la Constitution, ni la composition du Gouvernement. Il ne peut recourir au référendum. Il ne peut être candidat à l’élection organisée pour la Présidence de la République ;

c) Toutefois, en cas de nécessité liée à l’organisation de l’élection présidentielle, le Président de la République par intérim peut, après consultation du Conseil Constitutionnel, modifier la composition du Gouvernement.

Deux amendements sont ici envisagés.

Il s’agit, d’abord, de réécrire la première phrase de l’article 6 (4) de la Constitution pour porter de 40 à 120 jours le délai maximum prévu pour la tenue d’une élection présidentielle anticipée. En décembre 2007, un député révisionniste RDPC faisait observer : « Tout le monde reconnaît que la période de 40 jours imposée au Président de la République par intérim est très courte, et que l'organisation d'un scrutin dans ces délais est irréalisable ». Si des considérations techniques, également avancées au Mali en 2001, peuvent amplement justifier le triplement du délai maximum, il y a lieu de s’interroger sur le maintien du délai minimum de 20 jours, évidemment « irréaliste ». A titre de comparaison, une élection présidentielle consécutive à une déclaration de vacance a lieu dans un délai de 30 jours au moins et de 40 jours au plus au Bénin (Constit. 1990, art. 50), de 45 jours au plus en Côte d'Ivoire (Constit. 2000, art. 40), de 30 jours au moins et de 60 jours au plus à Madagascar (Constit. 1992 révisée 2007, art. 47), de 3 mois au plus en Mauritanie (Constit. 1991 amendée 2006, art. 40), de 45 jours au moins et de 90 jours au plus au Niger (Constit. 1999, art. 42), de 60 jours au moins et de 90 jours au plus au Sénégal (Constit. 2001, art. 31) et en République Démocratique du Congo (Constit. 2006, art. 76). La réécriture de la première phrase de l’article 6 (4) de la Constitution camerounaise pose question : aurait-elle été conçue pour ménager plusieurs scénarios de succession constitutionnelle de Paul Biya, un scénario court de 20 jours au cas où le RDPC aurait un candidat « naturel », un scénario de 120 jours au plus dans l’hypothèse où le RDPC serait amené à choisir son candidat entre plusieurs prétendants ?

Le second amendement portant sur l’article 6 (4) c) de la Constitution est additionnel : il consiste à conférer au Président de la République par intérim le pouvoir de décider un remaniement gouvernemental, après avis simple du Conseil Constitutionnel, « en cas de nécessité liée à l’organisation de l’élection présidentielle ». La mesure fait partiellement droit à une préoccupation exprimée par un député révisionniste RDPC, en décembre 2007 : « un Président de la République par intérim qui ne pourrait modifier ni la constitution, ni le Gouvernement, ni organiser un référendum, n'aurait aucun pouvoir et ne saurait se faire obéir par qui que ce soit ». Mais, partout dans le monde, les attributions constitutionnelles du Chef de l’Etat intérimaire sont moindres que celles du titulaire ; et la loi fondamentale gèle souvent, pour la durée de l’intérim, la composition du Gouvernement, de manière à écarter, dans une période délicate, certaines manœuvres intempestives, susceptibles d’entraver le libre choix par le peuple souverain du nouveau Président de la République. Que vise donc l’amendement proposé au Cameroun ? S’agit-il de donner au futur Président de la République par intérim une base constitutionnelle pour s’imposer dans la course à la succession ? Dans l’affirmative, l’article 6 (4) c) nouveau de la Constitution contredirait l’interdiction faite au Chef de l’Etat provisoire par l’article 6 (4) b) maintenu de se porter candidat à l’élection présidentielle anticipée. Une autre hypothèse mérite attention : l’article 6 (4) c) nouveau de la Constitution permettrait à un Président de la République par intérim d’écarter du Gouvernement un ministre « gênant », qui se présenterait contre le candidat investi par le RDPC.

En toute hypothèse, la modification des règles constitutionnelles de succession ne sera pas anodine. Gageons que la discussion parlementaire de la révision en éclairera les ressorts !

Article 14 :

Alinéa 3 a (nouveau) : Les Chambres du Parlement se réunissent aux mêmes dates en sessions ordinaires chaque année aux mois de mars, juin et novembre sur convocation des bureaux de l’Assemblée nationale et du Sénat, après consultation du Président de la République.

Pour saisir l’intérêt de cette modification technique, il convient de se reporter à "La Constitution de la République du Cameroun" d'Alain Didier Olinga (p. 121) : l’ordre actuel de présentation des sessions ordinaires des chambres du Parlement (juin, novembre, mars) correspondait à l’année budgétaire « étalée du 1er juillet au 30 juin de l’année suivante » ; « Avec l’alignement de l’année budgétaire sur l’année civile, la situation change. C’est ainsi que le règlement intérieur [de l’Assemblée Nationale] tel que modifié par la loi du 2 décembre 2002 précise à son article 9 alinéa 2 : « L’année législative de l’Assemblée Nationale est arrimée à l’année civile. La première session ordinaire de l’Assemblée Nationale s’ouvre au mois de mars, la deuxième au mois de juin et la troisième au mois de novembre ». Le pouvoir de révision souverain est donc invité à actualiser la Constitution pour purger l’ordre juridique d’une disposition désormais caduque. Cette invite pose question au regard de la hiérarchie des normes, car l’Assemblée Nationale, auteur de la loi de révision constitutionnelle, devrait s’aligner, sur l’Assemblée Nationale, auteur de la loi infra-constitutionnelle portant règlement intérieur !

Article 15 :

Alinéa 4 (nouveau) : En cas de crise grave ou lorsque les circonstances l’exigent, le Président de la République peut, après consultation du Président du Conseil Constitutionnel et des bureaux de l’Assemblée nationale et du Sénat, demander à l’Assemblée nationale de décider, par une loi, de proroger ou d’abréger son mandat. Dans ce cas, l’élection d’une nouvelle Assemblée nationale a lieu quarante (40) jours au moins et cent vingt (120) jours au plus après l’expiration du délai de prorogation ou d’abrègement de mandat.

Il s’agit ici de doubler le délai maximum d’organisation d’élections législatives anticipées consécutives à la promulgation d’une loi exceptionnelle d’autodissolution de l’Assemblée Nationale ; l’échéance serait identique à celle fixée par la première phrase de l’article 6 (4) de la Constitution après sa modification. La révision pourrait permettre de résoudre les difficultés techniques inhérentes à l’organisation d’élections imprévues, comme cela avait été envisagé au Mali par le projet de 2001. Mais sa portée – politique et institutionnelle – mérite d’être appréciée au regard du projet de modification de l’article 6 (4) : le Président de la République, par intérim ou successeur constitutionnel de Paul Biya, n’aura-t-il pas la possibilité de provoquer la tenue d’élections législatives anticipées, pour que le Chef de l’Etat puisse s’appuyer sur une majorité parlementaire nouvelle construite sur son nom ?

Article 51 :

Alinéa 1 (nouveau) : Le Conseil Constitutionnel comprend onze (11) membres désignés pour un mandat de six (06) ans non renouvelable.

Paul Biya, dans ses vœux à la Nation pour 2008, a annoncé : "nous donnerons sa forme définitive au Conseil Constitutionnel". Il ne s’agissait visiblement pas de procéder à l’installation de l’institution, licitement différée en vertu du principe de progressivité de l'article 67 (1) de la Constitution de 1996. Le projet de révision du 4 avril 2008 vise simplement de réformer la durée du mandat des membres d’un Conseil Constitutionnel toujours virtuel, malgré la promulgation des textes infra-constitutionnels qui le régiront (Loi N°2004/004 du 21 avril 2004 portant organisation et fonctionnement du Conseil constitutionnel et Loi n°2004/005 du 21 avril 2004 fixant le statut des membres du Conseil constitutionnel). Pourquoi faudrait-il en 2008 réduire de 9 à 6 ans cette durée ? Le sexennat envisagé n’exposera-t-il pas l’institution gardienne de la Constitution au risque d’une plus grande politisation, d’un moindre découplage avec la vie politique, rythmée par des élections législatives tous les 5 ans et une élection présidentielle tous les 7 ans ? L’indépendance du Conseil Constitutionnel et la continuité de sa jurisprudence ne risqueront-elles pas d’être durablement compromises par la perspective d’un renouvellement en bloc tous les 6 ans ?

Article 53 (nouveau) :

Alinéa 1 : La Haute Cour de Justice est compétente pour juger les actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions par :

- le Président de la République en cas de haute trahison ;

- le Premier ministre et les autres membres du Gouvernement et assimilés, les hauts responsables de l’administration ayant reçu délégation de pouvoirs en application des articles 10 et 12 ci-dessus, en cas de complot contre la sûreté de l’Etat.

Alinéa 2 : Le Président de la République ne peut être mis en accusation que par l’Assemblée nationale et le Sénat statuant par un vote identique au scrutin public et à la majorité des quatre cinquièmes des membres les composant.

Alinéa 3 : Les actes accomplis par le Président de la République en application des articles 5, 8, 9 et 10 ci-dessus, sont couverts par l’immunité et ne sauraient engager sa responsabilité à l’issue de son mandat.

Alinéa 4 : L’organisation, la composition, les conditions de saisine ainsi que la procédure suivie devant la Haute Cour de Justice sont déterminées par la loi.

Il est proposé de réécrire entièrement l’article 53 de la Constitution qui, dans sa version actuelle ne comporte que deux alinéas et qui renvoie à une loi d’application. Or, comme on peut le lire dans "La Constitution de la République du Cameroun" d'Alain Didier Olinga (p. 174) : « La Haute cour de justice est probablement la seule institution de l’histoire constitutionnelle camerounaise à n’avoir jamais accédé à l’effectivité. Figée dans un environnement institutionnel en mutation, elle semble ne survivre que du fait de la potentielle clameur civique qui naîtrait de l’impression d’irresponsabilité et d’impunité déduite de son inexistence ».

Le projet de révision est de nature à renforcer cette impression.

L’article 53 (1) confirmera le privilège de juridiction du Président de la République et, surtout, innovera en limitant le champ de sa responsabilité personnelle au cas de haute trahison, notion que ne définit pas le Constituant camerounais, contrairement à la plupart de ses homologues africains.

L’article 53 (2) rendra plus ardue la mise en accusation du Président de la République : l’exigence d’une majorité surqualifiée des 4/5 dans les deux chambres paraît exorbitante au regard des textes constitutionnels africains d’aujourd’hui.

Enfin, l’article 53 (3) créera une immunité absolue au bénéfice d’un ancien Président de la République : ce dernier sera mis à l’abri de toute poursuite pour tout acte accompli dans l’exercice de ses fonctions antérieures. Avec une telle innovation, le Cameroun surpasserait le Gabon, où la Constitution révisée en 2003 dispose en son article 78 in fine : « Le Président de la République qui a cessé d'exercer ses fonctions ne peut être mis en cause, poursuivi, recherché, arrêté détenu ou jugé pour les faits définis par la loi organique prévue à l'article 81 de la Constitution ».

Le projet de révision doit-il être compris comme permettant, à un terme indéterminé, une sortie de charge « sécurisée » du Chef de l’Etat actuel ? Dans l’affirmative, ce serait le « prix constitutionnel » à acquitter pour que s’ouvre au Cameroun une nouvelle page de la construction  d’un Etat de droit et de démocratie pluraliste. Il faut rappeler à ceux qui s’offusqueraient d’une telle perspective que la réussite de certaines transitions tient à la réconciliation nationale dans et par le pardon. C’est ainsi que le modèle béninois de transition repose, notamment, sur la loi n°91-013 du 12 avril 1991 portant immunité personnelle du Président Mathieu Kérékou. 

Titre 13 – Dispositions transitoires et finales

Article 67 :

Alinéa 6 (nouveau) : Au cas où la mise en place du Sénat intervient avant celle des Régions, le collège électoral pour l’élection des sénateurs est composé exclusivement des conseillers municipaux.

Cette disposition a pour objet d’appliquer au Sénat le principe de progressivité énoncé par l'article 67 (1) de la Constitution de 1996. Elle donne à penser que les élections sénatoriales pourraient avoir lieu avant les élections régionales, alors même que le Sénat apparaît avant tout comme une représentation des régions, à la lecture de l'article 20 (1) et (2) de la Constitution. La promulgation des lois d’application de la Constitution (Loi n° 2004/019 du 22 juillet 2004 fixant les règles applicables aux régions, Loi n° 2006/004 du 14 juillet 2006 fixant le mode d’élection des Conseillers régionaux, et Loi n° 2006/005 du 14 juillet 2006 fixant les conditions d’élection des sénateurs) pourra continuer à apparaître comme un leurre, puisque le projet de révision confirme que c’est aux pouvoirs législatif et exécutif de déterminer librement l’agenda de mise en place des collectivités et institutions prévues par la Constitution.

Article 2 : La présente loi sera enregistrée, publiée suivant la procédure d’urgence puis insérée au Journal officiel en français et en anglais.

Le projet du 4 avril 2008 ne détermine pas les conditions d’application de la révision dans le temps. Par conséquent, il va sans dire que le texte, y compris l’article 6 (2) nouveau, entrera immédiatement en vigueur. C’est, en tout cas, la leçon de droit que le Conseil Constitutionnel du Burkina Faso a logiquement tirée en 2005 des silences de la Constitution Compaoré.  

Pour approfondir la réflexion engagée par cette note d’actualité constitutionnelle, vous pouvez lire avec profit les analyses contradictoires proposées, d’une part, par le quotidien progouvernemental "Cameroon Tribune" sous le titre "double enjeu"", d’autre part, par le quotidien indépendant "Mutations" sous le titre "Révision: Une nouvelle Constitution "taille patron"".

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