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Publié par Delphine E. Fouda

Ndzana Seme,africanindependent.com 22/04/2008.  Tolindong (principe infernal, chaos, enfer en langue Bëti) est ce que les communautés camerounaises sont entrain d’affronter, ou alors ce vers quoi elles sont entrain de se diriger. Certains parmi ceux qui bénéficient des yeux appropriés pour voir dans le monde spirituel soutiendraient que ce sur-monde véritable marqué par autant de violence est déjà infernal et chaotique à travers la planète. Mais en examinant ce qui est considéré dans notre monde visible de l’Espace-Temps comme passé, présent et futur, l’on verrait aussi que le régime de Paul Biya a eu recours aux pires des génies et aux pires des démons pour démultiplier les nœuds et cycles de violence, dans le but d’instaurer ce que ce sorcier de la pire espèce avait à Monatélé un jour de 1992 tout simplement appelé chaos. Cet article revisite l’une des voies qui sont à la disposition de nos communautés pour stopper un tolindong entrain d’avancer dangereusement vers elles au Cameroun.

NEW YORK 04/22/2008 – Les non-initiés de tout bord, dont les individus les plus coupés de nos ancêtres que sont les scolarisés et autre intellectuels occidentalistes (1) - qui pourtant ont le plus accès à cet article - auront du mal à comprendre les enjeux en présence ; même quand de tels enjeux sont évoqués dans le langage le plus simple qu’il soit. Tout simplement parce que le langage même utilisé ici est insuffisant pour exprimer de tels enjeux, qui se constatent essentiellement lorsque l’on est capable de les voir ou de les sentir individuellement.

Quand un pays devient matériellement plus pauvre qu’il ne l’était il y a 50 ans, l’époque où les parents et grands parents actuels naissaient, il devient clair que l’âge d’or d’un tel pays se trouve dans le passé. L’époque coloniale et précoloniale est devenue l’âge d’or des communautés actuelles du Cameroun.

Il est évident que certains têtus et autres rêveurs croient toujours qu’il faut tout simplement continuer de copier les modèles occidentaux qui les fascinent tant, même comme de tels modèles importés ont lamentablement échoué dans le domaine fondamental du bien-être attendu par tous. Il n’y a pour eux aucune autre stratégie que la méthode coloniale du « enfoncez-vous ça dans la tête ! ».

Leur rêve d’une greffe enfin réussie d’un Paris, d’un Londres ou d’un New York au cœur du territoire camerounais les aveugle souvent au point d’ignorer le prix à payer pour y parvenir. Un tel prix crève pourtant les yeux devant le spectacle d’une communauté comme celle des Noirs des Etats-Unis, meurtrie au quotidien par une existence infernale sans espoir d’une quelconque main tendue culturelle.
Il est donc clair qu’aucun âge d’or ne se trouve au bout du tunnel dans lequel les occidentalistes aussi bien gouvernants que dissidents maintiennent nos communautés.

En mettant en parallèle la situation actuelle marquée par une menace de tolindong, que nos occidentalistes l’ayant provoquée se trouvent totalement incapables d’éviter, et les situations désespérées similaires affrontées efficacement par nos ancêtres à l’époque précoloniale, la voie à suivre se dessinerait tout naturellement.

Les rituels, solution essentielle pour éviter le chaos

Nos Ancêtres savaient que notre monde de l’Espace-Temps n’est qu’une composante d’un monde plus grand. Le monde réel inclut aussi en effet une existence non perceptible par nos sens ordinaires. Par conséquent, l’on ne peut pas comprendre une situation en regardant les choses uniquement dans la dimension insuffisante de l’Espace-Temps. Il faut toujours appréhender l’environnement invisible de toute situation pour pouvoir mieux l’expliquer.

Tout comme le monde, l’être humain n’est pas seulement la présence matérielle, mais surtout une entité spirituelle qui commande sa manifestation physique. Et nos Ancêtres avaient identifié en l’homme une source de puissance qui agit dans la dimension matérielle comme dans la dimension spirituelle. Cette source est autant physique, sous la forme d’un organe ou animal que soit l’on porte depuis la naissance, soit l’on reçoit d’autrui, que spirituelle. Cet organe ou animal, capable d’actions maléfiques comme salvatrices, est l’évú chez les Bëti, le tok chez les Bamiléké, avec un nom particulier dans chaque communauté. 

Par conséquent lorsque les hommes ou les animaux mourraient en série, lorsque la famine s’installait malgré tous les efforts, lorsqu’une calamité s’installait, bref lorsque la communauté était menacée de tolindong, nos Ancêtres ne se contentaient pas d’une analyse des causes et des effets - qu’ils savaient par ailleurs bien mener -, mais poussaient l’analyse au-delà de cette loi propre uniquement à la dimension de l’Espace-Temps. Il fallait en effet aussi rechercher la cause du danger dans l’action de l’évú ou tok, ou alors dans le péché ou bris de l’un des interdits qui maintenaient la communauté dans le bien-être, sinon le plus souvent dans l’action des deux.

Dans la partie transcendante du monde réel, l’on trouve la présence de la superpuissance cosmique appelée Dieu (Ntondobë chez les Bëti, Loba chez les Douala, Sí chez les Bamilékés, etc.), les anges, les génies et esprits de tout genre souvent désignés comme des « dieux », et les ancêtres présents dans le cosmos, à savoir dans l’eau, dans la forêt, dans les montagnes, dans l’espace et dans la terre, et qui restent accessibles à l’être humain charnel pour peu qu’il connaisse les rituels qui permettent d’y parvenir.

Tandis que Dieu, la superpuissance cosmique qui inclut ses autres personnes ou aspects – dont Zambá et Nkombodo chez les Bëti, Nyambé chez les Douala, et d’autres noms qui tous tendent à traduire une bi-unité ou tri-unité divine-, est avec les Ancêtres essentiellement protectrice de sa Création, qui inclut notamment les humains, les êtres, les anges, les génies et les autres entités spirituelles qui sont essentiellement capables du Bien et du Mal. Mais nos communautés traditionnelles sont convaincues que Dieu bi-unitaire ou tri-unitaire est la seule superpuissance que les anges, génies, esprits divers et ancêtres ne peuvent pas égaler.

La place des anges, génies, esprits divers et ancêtres dans la sphère divine est conditionnée par le degré élevé de respect des lois cosmiques divines dont l’entité spirituelle a fait montre au cours de l’observation de ses expériences. Il est demandé aux humains de faire montre du même respect des lois cosmiques divines au cours de leur existence physique dans la dimension de l’Espace-Temps. Les interdits sont donc des contraintes imposées à chaque humain pour se conformer aux lois divines, afin justement de mériter une place dans la sphère divine.

Dieu impose donc souvent des sanctions ou punitions aux humains lorsque certains d’entre eux ont perpétré une ou des violations d’interdits, dans l’objet certain d’imposer le rétablissement d’un ordre cosmique bouleversé en conséquence. De telles punitions consistent en des troubles ou menaces de troubles au bien-être acquis et des menaces de chaos qui demandent aux humains de faire la volonté de Dieu afin de pouvoir rétablir le bien-être. Faire la volonté de Dieu consiste notamment à réparer le bris ou violation d’interdit perpétré, source des malheurs constatés, et à s’engager de ne plus commettre de péchés à l’avenir.

L’on s’aligne à la volonté de Dieu en exécutant les rituels (mekeng en Bëti) que les Ancêtres, les Anges et Dieu ont prescrit depuis la nuit des temps aux humains comme remède à administrer, non pas seulement à celui ou celle qui a commis le péché mais aussi et surtout à toute la communauté automatiquement affectée et infectée par le péché identifié. La menace de chaos est donc une manifestation du courroux de Dieu, qu’il faut calmer en exécutant les rituels.

La pierre de Dieu écrase lentement certes, mais efficacement et impitoyablement

Ngog Zambá yaá ke kog avól, qui se traduit du Bëti par « la pierre de Dieu n’écrase jamais rapidement », est une expression que l’on retrouve dans presque toutes les communautés traditionnelles du Cameroun. Ceci veut dire que la punition de Dieu, comme toute pierre qui écrase les grains, peut prendre du temps pour s’exercer. Mais lorsqu’elle s’exerce, elle est efficace dans le sens qu’elle n’épargne aucun grain, aucun individu. Elle est aussi essentiellement impitoyable dans le sens que, tout comme la loi de la pesanteur n’arrête pas de s’exercer parce que l’objet lancé du haut d’une falaise pleure et prie, la punition ne s’arrêtera jamais malgré les simples cris ou prières ordinaires des punis.

Nos traditions exigent donc que les causes du courroux de Dieu soient bien examinées et que le remède soit bien appliqué à l’aide des rituels appropriés.

Le courroux de Dieu s’exerce actuellement, et ce depuis des décennies, sur les communautés et les individus du Cameroun. Tolindong est perceptible actuellement dans tous les coins du Cameroun.

La pauvreté matérielle, telle une langue de feu impitoyable, envoie chaque jour dans les tombes des milliers d’individus incapables d’accéder aux soins de santé, cloue des millions d’autres dans des maladies non soignées et dans des souffrances non calmées, et obstrue tout espoir de bien-être aujourd’hui comme dans l’avenir. La pauvreté morale se répand à une telle vitesse que le Camerounais, pour survivre, non seulement vend le corps dans tout genre de prostitution y compris l’homosexualité mais aussi dans le commerce des humains et des organes humains, doit mentir et voler le bien d’autrui, doit tuer même ses propres parents et amis pour bénéficier des biens rares, doit souhaiter voir mourir dans l’espoir d’aller manger et boire lors des funérailles. Il faut des milliers de pages pour lister les violations d’interdits qui sont perpétrés depuis des décennies au Cameroun.

Les causes du courroux de Dieu


La cause première d’un tel courroux de Dieu, qui se manifeste par la menace actuelle de tolindong, n’est rien d’autre que le bris d’interdit ou péché. Or, non seulement ceux que nous avons présentés à Dieu comme nos dirigeants ont commis ces dernières décennies plus que jamais des violations impensables et impardonnables d’interdits et font disparaître la notion même d’interdit, d’autres avant eux s’étaient alliés avec l’occupant colonial pour faire disparaître les rituels qu’il faut exécuter pour calmer le courroux de Dieu.

Le meurtre, y compris verser le sang d’un consanguin (source du tsúó des Bëti ou mbag des Bassa), les rapports sexuels entre consanguins dans un contexte de prostitution généralisée (source de akyaé en Bëti ou likaa en Bassa), le vol (source des bilánda en Bëti), la convoitise, la rancune et la haine (sources de malédiction ou de blocage au progrès), la sorcellerie et la prolifération de la domestication des génies et esprits maléfiques (sources de tous genres d’affections mortelles ou redoutables, de blocages, de malédictions ou asandá en Bëti, et de la ruine ou dzóngó en Bëti), ainsi que toutes autres formes de bris d’interdits autrefois impensables, sont de plus en plus acceptés par les Camerounais qui suivent l’exemple des dirigeants totalement iconoclastes envers les religions de nos Ancêtres.

Sous Ahmadou Ahidjo, assassiner était devenu un acte banal que tout dirigeant devait impunément poser au nom de « la république » ; à quoi Paul Biya a ajouté en aggravant le vol des biens publics, la sorcellerie et l’usage des esprits maléfiques, le mensonge, la corruption, la prostitution, l’homosexualité et toutes formes de déstabilisation du bien-être général comme moyens de gouvernement.

L’impuissance des religions d’importation

Pour arrêter les cycles de souffrances qui s’abattent sur eux, les Camerounais contemporains ont eu recours à toutes les solutions proposées par les religions du salut, dont notamment le recours à l’intercession de Jésus Christ et des prophètes bibliques, coraniques et tant d’autres, mais la punition divine ne fait que frapper de plus en plus fort.

Groupes de prières, consultations des marabouts, et même les nouvelles démarches recourant aux solutions exorcistes aujourd’hui en expansion, notamment depuis que le savant jésuite père Meinard Hebga (paix à son âme !) a commencé l’expérience d’une adaptation prometteuse de l’église chrétienne aux réalités africaines, se limitent malheureusement à ne faire que calmer des souffrances individuelles ou locales, mais ne parviennent pas à freiner les frappes décisives et croissantes de la punition divine au Cameroun.

La raison fondamentale de l’insuffisance de succès ou alors de l’échec des religions d’importation repose essentiellement sur le fait qu’elles sont essentiellement des religions du salut, dont la mission est de préparer les âmes à un salut après la mort humaine dans le monde de l’Espace-Temps. Or, ce que Dieu demande aux humains après la violation par ces derniers de ses lois cosmiques, c’est de réparer les dégâts causés par leurs violations ou péchés et, surtout, de s’engager formellement et fermement à ne plus les commettre.

Le salut des rituels ancestraux

C’est pour cela qu’avec leurs rituels, les religions africaines de l’immédiateté et de l’immanence, dont notamment les religions de la guérison de nos Ancêtres du Cameroun, présentent la solution la plus appropriée pour prévenir, soigner des péchés et éviter le tolindong ou menace de tolindong actuelle.

Les rituels traditionnels non seulement s’activent à identifier clairement les violations d’interdits ou péchés commis, mais surtout à effacer complètement la source de tels péchés (qui se trouve être l’évú ou tok, aussi connu comme le Satan biblique ou coranique), à recueillir la confession des pécheurs et à les soigner en même temps que leurs communautés infectées, et à faire les offrandes appropriées à Dieu, aux anges et génies divins, et aux Ancêtres pour calmer leur courroux.

Il est par conséquent d’une urgence impérieuse que les communautés traditionnelles du Cameroun prennent en main la situation désastreuse dans laquelle le pays se trouve aujourd’hui. Chaque communauté traditionnelle doit savoir que sa mission est de sauver ses membres du tolindong qui s’approche à l’horizon. Pour ce faire, chaque communauté doit sortir son arme religieuse qu’est le rituel approprié.

La plupart de nos communautés - comme celle des Bëti, des Douala et la majorité des communautés traditionnelles du Cameroun -, ont connu il y a exactement un siècle une interdiction en 1908 de leur religion et de leurs rituels par l’occupant colonial allemand. Ces communautés privées de leurs armes religieuses peuvent constater d’elles-mêmes leur fragilité extrême devant des crises comme le tolindong actuel. Ceci comparé aux communautés, comme celles des Bamiléké, qui ont su préserver même sous les coups de boutoir de l’occupant colonial, la religion de nos Ancêtres et qui aujourd’hui s’en sortent relativement mieux ; ceci malgré les assauts répétés du régime Biya pour en finir complètement, à travers la corruption notamment, avec toute survivance des chefferies traditionnelles au Cameroun.

Nous poursuivrons cette série d’articles avec l’histoire émouvante de l’interdiction des religions de nos Ancêtres par l’occupant colonial et le rôle joué par les antipatriotes indigènes qui leur étaient asservis. Nous espérons par la suite décrire en expliquant, pour les communautés qui ne les pratiquent plus depuis un siècle, certains rituels importants dont se servaient nos Ancêtres pour calmer le courroux de Dieu.


(1) Pour ceux qui ne saisissent la vérité que si les choses leur sont présentées à travers les prismes occidentaux dits rationnels, ils auraient intérêt à lire les écrivains et chercheurs allemands qui s’étaient intéressés aux religions des communautés locales à la fin du 19ème siècle et au début du 20ème siècle. Nous leur conseillerions également
Les yeux de ma chèvre de Eric de Rosny, un prêtre jésuite qui étudia les religions traditionnelles du Cameroun, notamment les « guérisseurs  traditionnels», dont l’un lui « ouvrit les yeux » spirituels ; mais également Philippe Laburthe-Tolra dans ses études profondes sur les religions traditionnelles du Cameroun, du Gabon et d’autres pays, dont notamment son livre Initiations et sociétés secrètes au Cameroun : Essai sur le religion beti. Tout ceci sans oublier l’œuvre monumentale en plusieurs livres du savant père Meinard Hebga qui vient de nous quitter.

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